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Jean-Paul Agon : “Les champions globaux doivent aussi être des champions locaux”

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Le monde bipolaire de la Guerre Froide a laissé place à un monde plus ouvert et plus intégré, grâce à la généralisation de l’économie de marché. Dans le même temps, le monde est de plus en plus fragmenté et l’intégration à la mondialisation est très inégale : quel est votre regard de dirigeant d’entreprise sur ce monde à deux vitesses ? 

Je crains que vous n’ayez raison, le monde est plus fragmenté que jamais. Au cours de cette dernière décennie, les inégalités économiques ont augmenté aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. La hausse du nationalisme et du protectionnisme a affecté le monde tel que nous le connaissions, ce qui constitue évidemment une grande préoccupation pour les dirigeants d’entreprise. Dans les pays développés, la classe moyenne s’est retrouvée sous pression, ce qui impacte fortement la consommation.

Malgré ces constats, nous ne devons pas oublier que la mondialisation a été un tournant décisif de l’histoire de l’Humanité. D’un point de vue occidental, nous avons tendance à nous focaliser sur les failles de la globalisation, mais les pays en voie de développement en ont une perception beaucoup plus positive. Regardez le plaidoyer passionné de Xi Jinping en défense de la mondialisation, lors du Forum Économique Mondial 2017. Il est devenu l’un de ses principaux ambassadeurs, tout en reconnaissant les défis qu’elle pose. Il est convaincu de ses mérites pour la Chine et le monde.

La mondialisation a sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté, partout dans le monde. Le nombre de personnes appartenant à la classe moyenne pourrait presque doubler entre 2015 et 2030, pour atteindre 5,4 milliards. Les études prédisent que les classes supérieures connaîtront un essor exceptionnel (+4,6% par an) dans les quinze prochaines années. Ces tendances constituent une chance historique pour beaucoup d’entreprises et pour L’Oréal en particulier. Les produits cosmétiques font  partie des produits de consommation qui améliorent la qualité de vie tout en restant abordables, ce qui permet à de plus en plus d’individus d’y accéder. À L’Oréal, nous envisageons de conquérir plus d’un milliard de nouveaux consommateurs.

Je suis absolument convaincu que la démondialisation est un projet irréaliste et dangereux pour tous les pays du monde. Néanmoins, les États et les entreprises doivent travailler de concert pour s’assurer que la mondialisation soit aussi égalitaire et inclusive que possible, et qu’elle profite à tous.


Comment intègre-t-on cette question de la multipolarité dans la vision stratégique de l’entreprise ? 

Il y a à peine dix ans, certains pensaient que la mondialisation mènerait à l’uniformisation, à la standardisation ou à l’occidentalisation - mais ils se trompaient : le monde n’est pas devenu plat et uniforme. En fait, c’est même le contraire, nous vivons dans un monde en croissante fragmentation, un monde où les différences sont toujours plus importantes.
C’est particulièrement vrai dans notre secteur. Le monde des cosmétiques est bien plus un monde de différences qu’un monde de similarités. Les consommateurs veulent des produits qui correspondent à leurs types de peau, à leurs types de cheveux, à leurs désirs, à leur culture et à leurs rituels de beauté.
Comment y répondons-nous ? Tout d’abord, en étant toujours plus centrés sur les besoins des consommateurs, qui veulent des produits et des formules 100 % adaptés à leurs besoins. Grâce aux technologies digitales, nous sommes encore plus proches de nos consommateurs qu’auparavant.
Ensuite, notre entreprise est elle-même devenue multipolaire, chaque grande région du monde ayant maintenant son propre pôle d’expertise, avec des activités couvrant aussi bien la recherche que le marketing. Nous avons créé ces pôles dans des marchés stratégiques majeurs comme les États-Unis, le Japon, le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud. De même, chacune de nos filiales a la liberté de s’adapter au marché local.

Cette organisation combine un système nerveux central puissant, avec une vision stratégique, et des pôles locaux. Nous élaborons nos produits avec un fonctionnement typique de collaboration en réseaux ; c’est, en quelque sorte, la quintessence d’un système multiculturel.


La scène publique internationale est investie par des acteurs divers issus des sphères économiques, politiques, sociales, artistiques etc. Quelle est la place de l’entreprise dans cette configuration de plus en plus complexe ? Quel rôle est-elle amenée à exercer ?

Seuls, les États-nations ne sont pas capables de résoudre les défis gigantesques que rencontre le monde d’aujourd’hui. Compte tenu de l’urgence de certains enjeux, le rôle des entreprises est crucial. Je crois fortement en leur capacité à être moteurs en matière de progrès social et environnemental, à leur niveau bien sûr. Le monde des affaires a une opportunité historique, celle de pouvoir contribuer à la résolution de ces défis.
Prenez le changement climatique, par exemple. Les entreprises peuvent être des agents essentiels du changement, car elles peuvent avoir un impact considérable, non seulement à travers leurs propres actions, mais également à travers tout leur écosystème, qu’elles peuvent mobiliser, des fournisseurs aux consommateurs. De plus, puisque ces questions ne relèvent pas de la compétition, les entreprises peuvent collaborer, élaborer des solutions communes, mobilisant ainsi l’intelligence collective au profit de tous.
Ou bien prenez l’exemple de notre programme social “Share and Care”, dont l’objectif est de garantir les meilleures pratiques sociales pour nos employés à travers le monde. Nous savons tous que, d’un pays à l’autre, il existe de grands écarts entre les niveaux de protection sociale. Share and Care constitue une avancée sociale de taille dans beaucoup de pays. La vie de milliers d’individus a déjà été améliorée, au travail comme dans la vie personnelle.
Au fur et à mesure que les entreprises multinationales élèvent leurs normes, les gouvernements n’auront d’autre choix que d’établir, à leur tour, de nouvelles normes : c’est un effet de levier essentiel. Il ne s’agit pas ici de prendre la place des gouvernements, mais plutôt de reconnaître que nous avons tous un rôle à jouer pour servir le bien commun, notamment en palliant les défaillances des États lorsqu’ils peinent à agir.


Comment traduisez-vous chez l’Oréal ce basculement du monde ?

L’Oréal s’est complètement réinventé pour s’adapter aux défis d’un monde multipolaire. Nous avons adopté une nouvelle stratégie que nous appelons l’”universalisation”. Pour nous, l’universalisation, c’est une mondialisation sans uniformisation, standardisation ou homogénéisation. 
Avec cette approche de l’universalisation, notre vision est celle d’une mondialisation qui reflète, respecte et promeut les différences locales en matière de désirs, besoins, traditions cosmétiques, styles de vie et pouvoir d’achat dans chaque région du monde. Notre objectif est que les marques de L’Oréal soient aspirationnelles sur le plan mondial - avec un attrait et un positionnement globaux - tout en étant localement adaptées. Les champions mondiaux se doivent d’être aussi des champions locaux. 

Propos recueillis par l'Institut Européen et International

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