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Frank Bournois : L'entreprise européenne, une gageure ?

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Vous êtes un expert de la gouvernance d’entreprise et du management européen. Comment définiriez-vous l’entreprise européenne ? Possède-t-elle une identité propre ?  
Le terme d’entreprise européenne désigne plusieurs réalités : il existe d’abord des entreprises ressortissantes d’un État membre de l’Union Européenne mais qui ont réussi à s’implanter dans plusieurs pays européens. Certaines entreprises ont pu ensuite implanter une filiale dans un autre État européen. Il y a également des filiales qui sont dirigées par des ressortissants d’un autre pays membre de l’Union Européenne. Le stade ultime est celui d’entreprises dirigées par des ressortissants qui n’ont pas la nationalité du pays. 
Mais existe-t-il une identité européenne de gouvernance d’entreprise ? La caractéristique que partagent beaucoup d’entreprises européennes, c’est leur dimension humaniste, c’est-à-dire la tendance à privilégier l’humain. Un des traits de cette conception humaniste est qu’en Europe plus qu’ailleurs, les salariés effectuent souvent une longue carrière dans la même entreprise.

L’Europe possède une grande diversité de modèles de gouvernance d’entreprise. Peut-on imaginer une harmonisation de ces spécificités nationales ? 
En théorie, oui, on peut imaginer une harmonisation des différents modèles de gouvernance. Mais cette harmonisation serait difficile à réaliser sur le plan pratique, car il existe plusieurs cultures dominantes en matière de gouvernance d’entreprise. Par exemple, le modèle français accepte qu’un PDG concentre le pouvoir : le président-directeur général peut également être président du conseil d’administration. Dans les pays anglo-saxons, cette “intersection” est inconcevable, et on crierait tout de suite au conflit d’intérêt. Il existe donc des divergences fondamentales en matière de culture d’entreprise, et par conséquent, je ne crois pas qu’une harmonisation pratique soit possible. Le modèle européen de management semble être une gageure pour le moment.

Quels sont les principaux défis pour les entreprises qui désirent se positionner à l’échelle européenne ? 
Il existe deux freins qui entravent l’européanisation des entreprises : l’absence d’harmonisation fiscale et le manque de convergence sociale. Sur le plan fiscal, les régimes fiscaux varient considérablement d’un pays à l’autre. Sur le plan social, il existe en Europe plusieurs modèles de relations avec les syndicats. Le premier modèle est le modèle anglo-saxon dit du “volontarisme”: les entreprises et les syndicats se retrouvent ponctuellement pour discuter de sujets spécifiques, les syndicats s’évertuent à obtenir des avancées sur leurs conditions de travail, mais ils ne tentent pas d’imposer une politique générale en matière de droit du travail. Ensuite, il y a un modèle à la française basé sur la consultation, c’est-à-dire que les entreprises prennent des décisions après avoir consulté les partenaires syndicaux. L’entreprise conserve cependant sa marge de manoeuvre. Enfin, il y a le modèle allemand de cogestion dans lequel les syndicats ont un réel pouvoir dans les décisions prises par l’entreprise, puisqu’ils peuvent poser leur veto à certaines décisions.
Tant que ces différents modèles ne convergeront pas, il sera difficile pour les entreprises d’envisager une européanisation.

Malgré la taille de son marché intérieur, l’Europe n’a toujours pas vu naître des entreprises capables de rivaliser avec les géants américains. Pourquoi ? 
C’est effectivement un paradoxe frappant : ante ou post Brexit, le marché intérieur européen est plus important que le marché américain, même en comptant le Canada. L’Europe a des atouts considérables : sur le plan du management interculturel par exemple, nous sommes bien plus performants que les Américains qui déploient leurs “process” de façon uniforme. Les entreprises européennes sont plus ouvertes au monde et à la différence, elles ont tendance à adopter un comportement de “caméléon” en se fondant dans les marchés dans lesquels elles s’implantent, mais passent finalement inaperçues, alors que les entreprises américaines parviennent à conquérir les marchés mondiaux en imposant leur identité. Les vents soufflent des États-Unis.
Et du fait de leurs différences politiques et culturelles, les Européens ne sont pas parvenus à créer des géants européens, malgré certaines expériences comme EADS ou Siemens-Alstom, qui pourraient s’imposer dans des secteurs comme le numérique, l’automobile, l’agroalimentaire. Le problème demeure entier.

Selon vous, quelles doivent être les grandes priorités de l’UE pour assurer la compétitivité internationale des entreprises européennes ?
Il s’agit d’une question très politique. Le système européen est un système qui protège les droits des salariés, qui porte des valeurs humanistes. Il est le résultat de siècles de luttes sociales durant lesquels les peuples ont conquis des garanties, des droits. Mais ce système a aussi un coût considérable. Une solution serait de calquer le modèle européen sur celui d’un pays membre qui possède moins de garanties sociales, mais ce changement remettrait totalement en cause les valeurs européennes. 
En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il faut investir massivement dans les talents, dans l’éducation, dans l’innovation (ce qui ne sera pas simple non plus, car il existe de grandes disparités entre les pays européens en matière d’investissements sociaux). Défendre notre compétitivité passe également par des règles de commerce plus équitables, par une lutte contre le dumping social, environnemental, fiscal : c’est le rôle des pouvoirs publics, notamment au niveau européen. 
Car la solution se trouve au niveau européen. La politique de ESCP Europe, à travers ses programmes de formation qui se déroulent sur plusieurs campus européens, est de former les jeunes générations européennes à assurer une relève européenne. Nos étudiants incarnent véritablement les profils européens dont l’Europe manque tant. Il faut également saluer le succès d’entreprises comme Saint-Gobain, qui dispose d’une véritable implantation européenne. Enfin, le fait que l’Europe soit une mosaïque linguistique et culturelle est un défi, mais également une richesse que les entreprises doivent apprendre à s’approprier.

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