Au-delà du Brexit, le projet européen est doublement affaibli par le clivage Nord-Sud qui est essentiellement économique (les « cigales » contre les « fourmis ») et par le clivage Est-Ouest qui est économique mais aussi politique (contestation par certains pays d’Europe centrale et orientale des valeurs occidentales). Il appartient à la France et à l’Allemagne, qui sont à la rencontre de ces deux fractures, de réinventer ensemble le compromis européen afin de les surmonter.
Toute l’Europe a progressé au cours de l’Histoire à travers les clivages entre l’est et l’ouest et entre le nord et le sud du continent. C’est de l’Orient que la civilisation s’est transmise à l’Occident – la révolution néolithique, la colonisation des Phéniciens et des Grecs, « nos » racines judéo-chrétiennes. Puis c’est le clivage Nord-Sud qui a été déterminant, avec la destruction de l’Empire romain d’Occident par les « Barbares » germaniques, conduisant à sa régénération par un syncrétisme romano-germanique chrétien, jusqu’à ce que ce soit finalement le Nord germanique ou anglo-saxon qui prenne une longueur d’avance – l’imprimerie, la Réforme, l’alphabétisation puis la révolution industrielle –, qu’il conserve de nos jours.
Le clivage Est-Ouest est lui aussi resté prégnant, opposant la chrétienté catholique ou protestante à l’orthodoxie ou à l’islam, l’individualisme occidental au poids des communautés à l’Est, les États-nations aux Empires, le libéralisme à l’autoritarisme, la société industrielle aux sociétés agraires – un clivage qui subsiste là encore jusqu’à nos jours.
Ces deux clivages – historique et culturel – semblent resurgir du passé et percuter de plein fouet la construction européenne. Le clivage Nord-Sud n’est pas un clivage interne à l’Union européenne, le Brexit ne faisant que prolonger la prise de distance des pays du Nord d’avec le projet européen. Et si le clivage Est-Ouest oppose l’Union européenne à ses marges orientales (Balkans, Russie, Turquie), l’éloignement récent de plusieurs pays d’Europe centrale et orientale d’avec les valeurs « occidentales » montre également que l’occidentalisation par l’adhésion à l’Union rencontre des limites.
Dans ce contexte général, la relation franco-allemande, au carrefour de ces antagonismes Nord-Sud et Est-Ouest, constitue plus que jamais le trait d’union indispensable de cette Europe menacée par la désunion.
Maxime Lefebvre est co-directeur de l'Institut Européen et International, diplomate et professeur à ESCP Europe et à Sciences Po Paris. Il a publié La Construction de l’Europe et l’avenir des nations (Armand Colin, 2013) et La Politique étrangère européenne (coll. « Que sais-je ? », PUF, rééd., 2016) Article reproduit avec l'autorisation de la revue Questions Internationales. L'auteur s'exprime à titre personnel.
Maxime Lefebvre est co-directeur de l'Institut Européen et International, diplomate et professeur à ESCP Europe et à Sciences Po Paris. Il a publié La Construction de l’Europe et l’avenir des nations (Armand Colin, 2013) et La Politique étrangère européenne (coll. « Que sais-je ? », PUF, rééd., 2016) Article reproduit avec l'autorisation de la revue Questions Internationales. L'auteur s'exprime à titre personnel.